Concevoir des bâtiments évolutifs pour une architecture durable

Pourquoi penser des bâtiments évolutifs ?

L’architecture comme un outil au service de la société

Nous passons 90% de notre temps dans des bâtiments, conçus pour accompagner chaque individu dans l’accomplissement de son existence et faciliter la vie en société.

Nous ne vivons cependant pas aujourd’hui de la même façon qu’il y a 50 ans, et la conception de nos lieux de vie, des lieux de travail et des institutions montre parfois ses limites. Par exemple, une partie des français a vu, notamment au travers de la crise sanitaire depuis 2020, l’évolution de ses modes de vies contemporains se confronter avec les dispositions rigides de leurs lieux de vie (télétravail, dissociation vie privée / vie professionnelle).

Pour répondre aux évolutions sociales, environnementales et économiques contemporaines, et afin d’éviter la démolition précoce due à une incompatibilité entre les bâtiments et les usages, une conception évolutive est nécessaire. Par ailleurs, le vieillissement de la population invite à penser l’adaptabilité conjointement à la notion d’accessibilité, de façon à prévoir la modularité des logements pour la personne en perte d’autonomie.

Qu’est-ce qu’un bâtiment évolutif ?

Caractérisé par sa grande durabilité, un bâtiment évolutif présente une grande capacité à s’adapter aux besoins futurs. Il ne les anticipe pas à proprement parler, car ils sont par nature incertains et hypothétiques, mais offre un maximum de dispositions pour projeter d’autres usages entre ses murs.

Le bâtiment évolutif peut ainsi changer de destination (passer d’un immeuble de bureaux à du logement collectif par exemple, ou d’un bâtiment industriel à un bâtiment de bureaux, comme on peut voir avec des bâtiments convertis en tiers-lieux dans d’anciennes friches industrielles), être agrandi (extension, surélévation) ou partitionné.

« On ne peut pas cantonner ces notions [d’évolutivité, de réversibilité et de flexibilité] à une collection d’astuces d’aménagement qui permettraient une organisation ou une autre »

(Peiro, 2022, p. 11)

Tout bâtiment peut être transformé, converti selon les besoins, mais un bâtiment évolutif est conçu pour maximiser ce potentiel. Ce potentiel d’évolutivité se traduit non seulement en des dispositifs ou astuces d’aménagements, qui retiennent plus facilement l’attention lorsqu’on évoque le sujet, mais aussi et surtout au travers d’une conception aux larges espaces, à la structure « souple » et aux matériaux durables.

Une architecture évolutive est une architecture durable

Les nouvelles réglementations thermiques et environnementales invitent à s ‘éloigner d’une conception tout béton et à favoriser les dispositions qui limitent l’impact écologique des bâtiments (production d’énergie auto-consommée, limitation des consommations et des déperditions, recours aux matériaux biosourcés, etc.).

L’évolutivité des bâtiments est un critère qui, dans une démarche de coût global, permet de réduire encore l’impact des bâtiments sur l’environnement. En incitant une démarche résiliente à partir de la conception, et ce malgré la logique de rentabilité importante, la conception prolonge le cycle de vie du bâtiment. En lui assurant une géométrie variable avec un investissement durable, elle réduit de la même façon son impact environnemental. Aussi, en plus de réduire les dépenses de matière première et d’énergie, une architecture durable économise sur le foncier à mobiliser et contribue à maintenir des villes durables en réduisant l’expansion urbaine.

De « form follows function » à « function follows form »

Par définition, la vie d’un bâtiment est incertaine. Alors qu’il est impossible de tout prévoir, la conception implique un lâcher-prise. En effet, le frein le plus important au développement d’une véritable architecture évolutive semble résider dans notre perception contemporaine d’une architecture fonctionnaliste de l’hyperspécialisation.

D’une part, l’hyperspécialisation de l’architecture vient de la volonté à disposer d’outils parfaitement adaptés aux pratiques projetées (architecture hospitalière par exemple). D’autre part, dans le logement collectif notamment, on notera le « désir d’invidualisation [et la] défiance vis-à-vis des produits génériques du logement » (Bendimérad, 2022, p. 19) auxquels se heurtent cette idée d’une conception générique, large et adaptable. L’évolution de plus en plus rapide des modèles de société (modèles de famille, façons de travailler, etc.) et l’optimisation extrême du bâti nous habituent à des bâtiments dont la forme suit de près la fonction attendue (Bordas, 2022, p. 197).

Penser un bâtiment comme un outil évolutif, c’est changer de point de vue, du « form follows function » à « function follows form », qui illustre la capacité de résilience de l’humain.

Il est intéressant de questionner nos standards, de façon à se diriger vers des espaces plus neutres, dont la flexibilité a fait ses preuves (Bordas, 2022, p. 204). Pour conduire une démarche d’évolutivité, il faudrait aujourd’hui revenir en arrière, contre cette dynamique fonctionnaliste d’hyperspécialisation, de façon à concevoir des bâtiments disposant d’une véritable capacité à s’adapter aux évolutions d’usage. Penser un bâtiment comme un outil évolutif, c’est changer de point de vue, du « form follows function » à « function follows form », qui illustre la capacité de résilience de l’humain.

Dans ce sens, les tiers lieux, qui s’installent dans des lieux vacants, ou mal-aimés (l’Hôtel Pasteur à Rennes, le Centquatre à Paris) ont un rôle d’expérimentation important. Ces bâtiments prouvent leur capacité à accueillir, l’usage s’y adapte à la forme existante. L’architecture haussmannienne, désirable, ne correspond pourtant pas aux standards actuels. Elle reste attractive pour ses qualités propres : belles hauteurs sous plafond, belles lumières, matériaux de qualité, etc.

Comment concevoir des bâtiments évolutifs ?

Dès l’esquisse, favoriser les proportions généreuses et la neutralité

Intégrer l’évolutivité dans un projet ou un bâtiment existant nécessite davantage que des « astuces d’aménagement qui permettraient une organisation ou une autre » (Peiro, 2022, p. 11), mais plutôt des architectures neutres aux proportions adaptées, qui se dissocieront sans mal de leur destination d’origine. Dès la conception, il s’agit de prévoir des espaces larges qui autorisent toute sorte d’activité et facilitent les changements par la mise en place d’un minimum de cloisonnements. La composante réglementaire entre aussi en compte, en pensant les implantations et dimensions envisageables (PLU, contraintes du permis de construire, etc.).

Surdimensionner le gros-œuvre et recourir à des systèmes constructifs adaptés

L’utilisation de systèmes constructifs « souples », recourant à la préfabrication des éléments de construction contribuent à l’évolutivité du bâtiment, en rendant plus aisés les percements et surélévations notamment. La conception à partir de trames facilement divisibles, démontables et modifiables (bois, acier) facilite aussi l’évolutivité. L’emploi d’une structure poteau poutre notamment autorise une grande liberté d’aménagements intérieurs. Aussi, le surdimensionnement du gros-œuvre et des fondations facilite les surélévations.

Même s’il garantit une grande facilité de mise en œuvre et est largement plébiscité dans le secteur du bâtiment, le béton montre ses limites. D’une durée de vie comprise en 70 et 100 ans, son utilisation systématique est remise en question. Dans cette optique, la structure bois réduit également drastiquement le coût de la déconstruction pour l’environnement.

Ces solutions constructives, plus coûteuses lors de l’investissement initial, s’avéreront pourtant bien plus adaptables et assureront la maîtrise de l’impact environnemental de la construction.

Dans les espaces intérieurs

Une fois assuré le rôle du gros œuvre, le cloisonnement des espaces intérieurs rend plus aisé les restructurations légères, sur le modèle du plan libre.

La démontabilité et la recyclabilité, de même que la valorisation de matériaux bruts, de qualité et sans nécessité d’entretien rendent les espaces intérieurs facilement évolutifs en réduisant les étapes de finition au minimum. Aussi, la démarche low-tech, qui valorise un faible nombre d’équipements technique et privilégie les solutions passives, contribue à rendre les espaces plus facilement adaptables.

La conception ne devra pas pour autant laisser de côté les usages à projeter. En effet, l’architecture crée les conditions pour que le social puisse s’exprimer : évolutivité ne veut pas pour autant dire anonymisation.

Prolonger la durée de vie des bâtiments existants

Dans cette dynamique de promotion de l’évolutivité, le rôle de l’architecte est double. Il s’agit de valoriser l’adaptation au déjà-là, et de concevoir des bâtiments résilients, qu’il sera aisé de transmettre aux utilisateurs futurs. Il faut en effet construire des bâtiments évolutifs, mais surtout faire évoluer l’existant, et donner la priorité aux restructurations.

Aujourd’hui, le coût financier d’une restructuration lourde estimé à 30% de plus qu’une construction neuve : la filière est moins adaptée pour répondre à cette typologie d’intervention qui nécessite une réponse au cas par cas et mobilise une plus grande attention. Aussi, les procédés, solutions et finitions employés peuvent se révéler être inadaptés, souvent empruntés à la construction neuve.

Dans ce sens, le rôle de l’architecte est d’ouvrir les pistes. Peut-être ne faut-il pas calquer les attendus d’un bâtiment neuf sur un bâtiment restructuré. C’est le rôle de l’architecte que de promouvoir l’esthétique et l’acceptabilité du restructuré, de l’imparfait, des matériaux bruts, du déjà-là et du réemploi. Aussi, au-delà d’une réflexion sur la rentabilité immédiate de l’opération, il s’agit de penser le bâtiment en termes de coût global, pour rationaliser les coûts financiers mais aussi les coûts sur l’environnement et la société.

L’architecte, acteur essentiel pour une conception évolutive

La pleine intégration de l’évolutivité dans la conception et la restructuration ne pourra s’effectuer sans un changement de perception. Le réemploi, le durable et son esthétique sont de véritables atouts pour le développement d’une architecture évolutive : « Il ne s’agit pas de nier l’existence du marché ou l’assujettissement d’une grande partie de la production architecturale à celui-ci, mais d’accompagner la transition d’un marché de la consommation rapide vers un marché où le désir réside en d’autres points focaux » (Bordas, 2022, p. 209).

Le rôle de l’architecte est de faire la promotion de cette conception durable, alors que, face au développement démographique et à l’urbanisation, la priorité est la rentabilité et la compacité des bâtiments. Le changement devra peut-être venir de la maîtrise d’ouvrage publique qui, de par son devoir d’exemplarité, promouvra plus facilement cette conception durable malgré l’investissement initial plus important, dans une démarche de coût global et de respect de l’environnement. Tout comme l’emploi des matériaux biosourcés, l’évolutivité dans la conception architecturale se démocratisera à travers la répétition des pratiques, les retours de terrain, etc.

Au-delà d’adapter les modèles conventionnels, il s’agit de proposer une conception de rupture. Le rôle de l’architecte est donc de participer à cette dynamique en accompagnant les maîtrises d’ouvrage dans la tâche la plus difficile de cette démarche : changer les mentalités et cultiver une conception de l’incertitude.

Quelques références en restructuration, réhabilitation et extension :
– Îlot Mortier à Laval (53) : surélévation ossature bois
– École Notre-Dame à Cesson-Sévigné (35) : extension bois

Sources :
– Peiro, M., Sotinel, F., Bouvier, L., Briand, D., Sotinel, F., Peiro, M., Bendimérad, S., Toubanos, D., Nozza, C., Scotto, M., Floret, C., Mària, M., Rubin, P., Hetman, J., Beauvalet, M., Aparicio, J. M., D’Arienzo, R., Brun, A., Hayet, W., … Bordas, A. M. (2022). Architecture évolutive / réversible : Formes et dispositifs. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne.
– XB Architectes. (2015). Architecture évolutive / flexible. https://www.bazed.fr/wp-content/uploads/2015/10/bazed-evolutivite-1.pdf
– Servais, A. (2019). L’architecture évolutive au service du bien vieillir chez-soi [Université de Liège]. http://hdl.handle.net/2268.2/8017

Crédit photographes : Stéphane Chalmeau et Dimitri Lamour